L’architecture : outil d’inclusion ou machine à ségrégation ?
- agendarchitecture
- il y a 1 jour
- 3 min de lecture
Et si l’architecture, au lieu de relier, séparait ?
L’idée est dérangeante, surtout pour une profession qui se veut au service du collectif. Pourtant, en Belgique comme ailleurs, le bâti façonne encore des frontières invisibles : sociales, économiques, parfois culturelles. Les études le confirment : l’espace construit peut être aussi bien outil d’inclusion qu’instrument de ségrégation. Tout dépend de ce qu’on y met et de ce qu’on y oublie.

La ségrégation ne se lit pas toujours sur les façades
Dans une étude menée à Bruxelles (Ethnic and socioeconomic segregation in Belgium, 2018), les chercheurs notent que la ségrégation urbaine belge « n’est pas spectaculaire mais structurelle ». Autrement dit : pas de murs, mais des mécanismes fins. Les écarts de revenus, la répartition du logement social, la qualité des transports, les typologies d’habitat, tout cela produit des cartes de villes où certains vivent “dedans”, alors que d’autres vivent “autour”.
Et l’architecture ? Elle n’en est pas spectatrice. Un quartier mal relié, un immeuble sans porosité, une typologie uniforme suffisent à figer la distance entre les habitants. L’espace devient un langage : certains y lisent une invitation, d’autres une frontière.
La mixité sociale : bonne intention mais résultats mitigés
En Belgique, on aime le mot mixité. Il rassure, il coche les cases. Mais derrière les quotas et les slogans, la réalité est plus complexe. Un rapport wallon sur la mixité résidentielle (BRUDOC, 2019) rappelle qu’un simple mélange de statuts (locatif social / privé) ne garantit pas la rencontre. Sans dispositifs partagés, sans lieux de croisement, la mixité reste une donnée administrative.
Les architectes qui travaillent sur le terrain le savent : deux halls d’entrée, deux parkings, deux gestions… et voilà la ville coupée en deux. La vraie mixité est spatiale et fonctionnelle. Elle naît de la conception, pas du cahier des charges.
Quand la loi dessine la ville
Les règles, elles, posent un cadre mais encore faut-il savoir ce qu’on en fait. Depuis la régionalisation, chaque entité belge a ses propres textes :
En Région de Bruxelles-Capitale, le CoBAT impose qu’au-delà de 3 500 m², au moins 25 % du programme soit destiné à une fonction “sociale ou abordable”.
En Wallonie, le Code du Développement territorial (CoDT) encourage la diversification typologique pour éviter la concentration du logement social.
En Flandre, la stratégie “Modulair Wonen” promeut des habitats modulaires et abordables pour contrer la pénurie.
Mais la législation a ses angles morts. Elle garantit le quantitatif, rarement le qualitatif. Autrement dit : on peut respecter la loi, livrer des logements, et quand même fabriquer de l’exclusion.
Inclusion : une question d’usage, pas seulement d’accès
Prenons quelques exemples récents. À Ixelles, le projet Vandeuren porté par BinHôme et la SLRB réhabilite des logements sociaux en intégrant des logiques circulaires et intergénérationnelles. À Dessel, le bureau Studio Farris Architects livre un ensemble de logements sociaux où la qualité spatiale rivalise avec celle du privé. À Bruxelles, des projets comme Brutopia montrent que l’habitat participatif peut mêler publics et usages sans hiérarchie visible.
Ce qui relie ces projets, c’est la même conviction : l’inclusion ne se joue pas dans les mètres carrés, mais dans les mètres vécus. Espaces communs, continuités piétonnes, transparence entre privé et public, gestion partagée : autant de leviers architecturaux pour que les habitants ne se côtoient pas seulement, mais se croisent réellement.
Les zones grises de l’inclusion
Soyons honnêtes : la frontière entre inclusion et ségrégation n’est pas nette. Rénover un quartier, c’est aussi risquer la gentrification. Densifier, c’est parfois exclure par le prix. Créer un cadre de qualité, c’est bien mais encore faut-il qu’il reste accessible.
L’architecture ne peut pas tout, mais elle peut beaucoup :
éviter les accès différenciés
travailler la transparence et la mixité des parcours
rendre l’espace public désirable pour tous
concevoir pour la flexibilité et la durée
Pour les architectes : concevoir avec le social en tête
Traduire l’inclusion dans la forme bâtie, ce n’est pas “faire du social”. C’est penser un projet où chaque typologie a sa place, où le logement collectif ne devient pas une enclave, où le tissu existant est respecté et renforcé. C’est aussi accepter que la performance d’un projet se mesure moins à sa photo finale qu’à sa capacité à accueillir la diversité : des familles, des seniors, des étudiants, des personnes à mobilité réduite.
L’architecte n’est pas un sociologue, mais il a le pouvoir de rendre la société plus lisible ou plus opaque.
Conclusion : la ligne est fine, mais elle est là
L’architecture n’a pas vocation à réparer seule les fractures sociales, mais elle peut éviter de les creuser. Chaque plan, chaque accès, chaque cour intérieure est une décision politique déguisée. À l’heure où les villes belges se densifient, où le logement devient rare et la tension sociale palpable, la question n’est plus de savoir si l’architecture peut inclure, mais comment elle le fait.
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