Décoloniser l’espace public : raconter une autre histoire
- agendarchitecture
- 1 oct.
- 4 min de lecture
La décolonisation de l’espace public belge bouscule statues, rues et mémoires coloniales. Mais quels sont les enjeux derrière ce thème ?
On a tous marché sur ces places, levé les yeux vers ces statues, pris un bus ou un métro dont le nom sonnait comme une évidence. Mais depuis 2020, beaucoup d’évidences s’écroulent : la décolonisation de l’espace public belge n’est plus un débat marginal.
C’est une demande citoyenne forte, portée par des collectifs, des universitaires, des associations… et qui questionne directement notre manière de penser et de fabriquer la ville.
Alors, de quoi parle-t-on vraiment ? Pourquoi cette question divise-t-elle autant ? Et surtout : quel rôle pour les architectes et autres acteurs de l’aménagement de nos espaces publics ?

Crédit photo : Royalmuseumforcentralafrica2004
Décoloniser l’espace public : définition et enjeux
Décoloniser l’espace public ne veut pas dire gommer l’histoire coloniale à coups de bulldozer. Il s’agit de contextualiser les symboles encore présents : statues de Léopold II, monuments aux « pionniers » du Congo, noms de rues liés à l’entreprise coloniale…
L’objectif n’est pas de supprimer toutes les traces, mais de raconter enfin toute l’histoire :
celle des colonisateurs, glorifiée dans l’espace public actuel ;
et celle des colonisés, résistants ou victimes volontairement invisibilisés.
En d’autres termes : sortir de l’espace public « à sens unique » et construire un patrimoine plus objectif et inclusif dans son récit.
Pourquoi la décolonisation de l’espace public revient aujourd’hui ?
Le tournant, c’est 2020. Le mouvement Black Lives Matter a fait exploser le débat en Belgique. Pétitions massives, statues vandalisées, manifestations à Bruxelles, Liège ou Gand… L’espace public a été remis en cause comme jamais.
Résultat : une résolution bruxelloise adoptée en juillet 2020, suivie d’un groupe de travail et d’un rapport officiel en 2022. Pour la première fois, la décolonisation de l’espace public est reconnue comme un objectif politique.
Statues, rues, places : des solutions qui divisent
Alors, on fait quoi des statues coloniales et des noms de rues liés à l’histoire coloniale ?
Les pistes sont multiples :
Retirer les statues et les placer au musée.
Les détruire et les remplacer par de nouvelles figures.
Les contextualiser avec des plaques explicatives.
Transformer les monuments par des interventions artistiques contemporaines.
Pas de consensus : certains veulent tourner la page radicalement, d’autres refusent la destruction de ce patrimoine. Mais une chose est claire : laisser l’espace public inchangé, c’est prolonger un malaise identitaire et sociétal.
Et le musée de Tervuren, on en parle ?
Impossible de parler de décolonisation de l’espace public sans évoquer le mastodonte de Tervuren : l’ancien Musée royal de l’Afrique centrale, aujourd’hui rebaptisé AfricaMuseum. Construit au début du XXᵉ siècle dans la foulée de l’Exposition coloniale de 1897, ce bâtiment majestueux était pensé comme une vitrine de la « mission civilisatrice » belge au Congo. Autrement dit : de l’architecture au service de la propagande coloniale.
Pendant des décennies, le musée a aligné objets exotiques, animaux empaillés et récits à sens unique sur la grandeur coloniale. Bref, tout ce qu’il faut pour façonner l’imaginaire d’un empire glorieux, et reléguer les Congolais au rang de figurants folkloriques.
Entre 2013 et 2018, le musée a fermé pour une rénovation en profondeur. À la réouverture, on nous promet un « musée décolonisé ». Nouvelles salles, nouveau parcours, et surtout un sas d’entrée baptisé AfricaTube : un espace où l’on invite le visiteur à interroger ses propres clichés avant de plonger dans les collections. Bonne idée, sur le papier.
Mais voilà : si le lifting architectural et scénographique est réel, le débat reste ouvert. Le musée a-t-il assez écouté les voix africaines ? Va-t-il vraiment jusqu’à restituer certains objets acquis dans des conditions douteuses ? Et surtout, peut-on vraiment « décoloniser » un lieu qui a été pensé, dès ses fondations, pour célébrer l’entreprise coloniale ?
Pour les architectes, le cas de Tervuren est un vrai crash test :
Un bâtiment n’est jamais neutre : son style et son histoire portent déjà un récit.
La scénographie est un projet architectural : l’espace de circulation peut déconstruire autant qu’il peut glorifier.
La participation compte : penser un espace décolonial sans les communautés concernées, c’est manquer la cible.
Bref, Tervuren nous rappelle une chose : décoloniser, ce n’est pas seulement repeindre une façade ou ajouter une plaque explicative. C’est repenser en profondeur le récit architectural et spatial d’un lieu.
Le rôle des architectes
C’est peut-être la question centrale. Car qui aménage les places, dessine les stations de métro, conçoit les parcs et décide de la scénographie urbaine ? Les architectes et urbanistes.
La décolonisation de l’espace public, c’est aussi une opportunité pour l’architecture et l’urbanisme :
D'intégrer des mémoires multiples dans un même lieu.
De faire dialoguer patrimoine existant et créations contemporaines.
De collaborer avec des artistes africains et des collectifs de la diaspora.
De transformer statues et monuments en récits partagés plutôt qu’en glorifications figées.
Décolonisation et design urbain : transformer plutôt que détruire
Plutôt que d’opposer stérilement « on détruit » ou « on garde », pourquoi ne pas inventer autre chose ?
Des parcours mémoriels vivants.
Des fresques interactives.
Des espaces publics qui racontent plusieurs histoires à la fois.
Les architectes ont donc un rôle majeur à jouer pour imaginer un espace public plus juste, plus représentatif, plus moderne.
Un projet de société qui nous concerne tous
Vous l'avez compris, la décolonisation de l’espace public belge n’est pas un caprice militant. C’est un enjeu de société, éthique, politique et architectural.
Parce qu’au fond, ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement le bronze d’une statue, mais la manière dont une ville raconte qui elle est, qui elle a été et qui elle veut devenir.
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